Coco #3 - 23 mai 2020

L et M se disent que cette fois-ci, ce serait un peu différent. Déjà, parce que le contexte le veut. On sort de cinquante-cinq jours de confinement et les réunions d'êtres humains sont toujours encadrées de règles plutôt drastiques. Alors pour cette soirée "retrouvailles", il y avait lieu de faire au plus simple : il n'y aurait que des créatures qui ont déjà eu des interactions sensuello-sexuelles entre elles pré-confinade et qui ont décidé en conscience de lever les barrières au sein de ce cercle particulier.



C'est beau, de voir l'appartement se transformer. Tout comme les créatures qui vont l'investir, il s'habille tout spécialement pour l'occasion. L, M et V couvrent son sol de tissus, sol qui se trouve une seconde fois missionné pour accueillir, dans tous ses états, le corps lascif de Coco. Ce soir-là, la pièce principale est complètement dédiée au play. Les réjouissances gustatives sont durant toute la soirée à disposition dans la petite pièce attenante. Il y a celleux qui sont venu.e.s en amont, pour partager le repas ensemble, et celleux qui ont préféré arriver déjà bien repu.e.s. Parce que ce soir on s'est dit qu'on partait en mode "freestyle" (un Coco moins ritualisé), toutes les options étaient possibles. Peut-être tellement possibles que deux des neuf jameureuses arrivent ostensiblement en retard. L'heure de l'opening de Coco est repoussée jusqu'à décider que "tant pis, on commence" à sept.

L'interaction guidée par L et M, qui suit un cercle d'expression libre, consiste en une invitation au toucher à l'aveugle. Un peu comme la dernière fois, à la différence qu'ici tout se passe en station debout, et que les créatures sont invitées à incarner des pôles de don-réception : il y a quelqu'un.e qui touche, et quelqu'un.e qui reçoit tantôt l'effleurement, tantôt l'empoignade. Il faut imaginer des mains qui explorent et des corps immobiles qui impriment le contact d'une créature qu'iels essaient de reconnaitre au travers d'une pression, d'une odeur, d'une certaine qualité de caresse. On peut clairement observer des corps-réception qui sont moins immobiles que d'autres, de ces corps-réception qui ont très envie d'entrer dans un dialogue actif et ne se satisfont pas de leur posture de passivité apparente. Et puis, il y a des mains-donneuses qui sont particulièrement volages. Au lieu de se concentrer sur un corps, elles en touchent plusieurs à la fois. Ici, il faut souligner un point interessant : chacun.e s'approprie l'invitation à entrer en lien, se ménage des espaces de créativité au sein des guidelines, et c'est exactement parfait comme ça.

Bientôt, les rôles s'échangent, et puis complètement disparaissent. V s'est déjà emparé de l'appareil photo pour capturer ce qui n'est plus qu'une masse de mains et de jambes emmêlées. Macro organisme vorace, mouvant et vivant. Certain.e.s gardent encore un peu leurs paupières closes et choisissent alors d'appréhender leur environnement par le biais des autres outils sensoriels dont leur corps est doté. Bruits de bouches qui se baisent. Douces collisions-agglutinations des corps. "La jam est ouverte" articule M, comme dans une évidence.


Si l'énergie groupale semble ainsi parfaitement se builder, elle se fait subitement couper par l'arrivée des deux retardataires qui ramènent avec eux le vent du dehors. Le noeud organico-orgiaque se défait, les bruits sourds sont remplacés par des salutations, des rires, des conversations. Il est fascinant d'observer combien une énergie collectivement construite est fragile. Quand la bulle de cette polycule est percée, son invisible liquide amniotique s'évapore. Appelé ailleurs, il est alors réorienté. Oui, créer une énergie à plusieurs et la maintenir est un art particulièrement subtil. Mais en parallèle, il est tout aussi intéressant d'observer que si le château de sable s'est fait souffler, les grains qui le composaient savent très bien à nouveau s'agréger tout en intégrant ceux fraichement arrivés. En fait : rien n'est perdu. Tout, toujours, se transforme. Un peu comme s'il n'y avait jamais de fin, seulement un processus continu de morts et de naissances en cascade. Parce que le vivant est intelligent.


Le reste de la soirée se compose-décompose-et-recompose avec la même flexibilité. Cette fois-là, on remarque néanmoins que les créatures aiment particulièrement s'incarner sous la forme d'un organisme tricéphale et regorgent d'ingéniosité dans la mise en art de cette modalité. Quelques exemples : duo de créatures accouplées dont l'une profite d'un surplus d'affection / petite proie de plaisir prise dans une toile d'interactions à quatre mains et dix doigts / duo de scarabées amoureux dont les pattes sont laissées aux soins d'une créature podophile.


À l'ambiance sonore, on comprend que toute la soirée durant, il y a comme une énergie sexuelle qui plane et contagionne les jameureuses en présence, à des endroits et des degrés différents. En fait, c'est la première fois que Coco fait autant de bruit et pioche autant dans le matériel de safe sex mis à disposition. Mais ce dont la captation sonore témoigne aussi, c'est des discussions qui naissent au détour d'une pause, dans la food-room ou sur le balcon. De ces conversations où l'on se permet d'une énième manière de se mettre à nu et de se montrer vulnérable. Évidement, participer à de telles festivités est risqué sur tout un tas de plans. Sortir de sa confort zone de l'intime, faire face aux regards multiples, regarder les autres et se comparer, se regarder soi et se juger, avoir peur de ne pas trouver sa place, and so on. Cette soirée, encore une fois, est riche d'apprentissage. Elle soulève l'importance du support émotionnel et dessine des pistes à explorer pour rendre les multi-interactions toujours plus fluides. Parce qu'au-delà de l'indéniable art social lové au cœur de ces expérimentations, maintenant c'est certain, il y a aussi lieu de parler d'une véritable ingénierie collective.

Par contre, ce que la captation ne révèle pas, c'est le projet d'écriture participative qui naît ce soir-là. En gros titre, sur un paquet de feuilles posé dans un coin de la pièce, on peut lire : "C'est quoi baiser, en fait ?" Sur le mode surréaliste du cadavre exquis, les jameureuses sont alors invité.e.s à écrire les réponses qu'en parallèle, d'autres mettent en pratique.  



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